Madame S. souhaite travailler avec son foulard au sein d’une entreprise privée, l’employeur lui indique qu’il ne lui sera pas possible de le porter pendant ses heures de travail. Est-ce légal ?
Que dit la loi ?
Le salarié, comme tout citoyen, jouit d’une liberté religieuse laquelle est garantie par de nombreux instruments juridiques, notamment la Convention européenne des droits de l’homme, qui précise que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique […] la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. » (Convention EDH, art. 9, §1).
La neutralité ne s’impose pas comme dans les services ou entreprises exerçant une mission de service public. La liberté reste donc la règle.
Toutefois, un employeur peut restreindre la liberté religieuse de ses salariés s’il le justifie par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ou par l’exercice d’autres libertés ou droits fondamentaux et les limites doivent être proportionnées au but recherché.
Si l’employeur interdit le port du foulard au travail, sa décision ne doit pas être motivée par des critères religieux ou discriminatoire.
Conformément à l’article L.120-2 du Code du travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». (…) ».
L’inscription dans le règlement intérieur d’une obligation de neutralité doit donc se faire sous certaines conditions précisées par le droit.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’article L.1321-2-1 du Code du travail dispose que : « le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ».
La Cour de cassation du 22 novembre 2017 (13-19.855) a apporté certaines précisions :
Elle a affirmé qu’un employeur pouvait interdire, via une clause de neutralité prévue dans le règlement intérieur ou dans une note de service, le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail. Pour cela, 3 conditions doivent être remplies :
- La disposition doit être générale et indifférenciée : à tous les salariés placés dans la même situation ; concerne toute forme visible, quelle qu’en soit la taille, d’expression des convictions ; concerne, ensemble, les convictions religieuses, philosophiques ou politiques.
- Elle ne doit être appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients. (Voir à ce sujet CJUE, 14 mars 2017, aff. 157/15).
- La clause répond à un objectif légitime et proportionné au but recherché.
En cas du non-respect de seulement une des trois conditions, le règlement serait alors illégal et la clause de neutralité serait alors inopposable aux salariés.
En l’absence d’une telle clause de neutralité, un employeur ne peut pas interdire le port de signes religieux sauf s’il démontre une nécessité justifiée (raison de sécurité). La limitation ne peut être que dans un cadre proportionné.
Par ailleurs, l’employeur ne peut interdire le port d’un signe religieux afin de satisfaire le souhait d’un client en particulier (CJUE, 14 mars 2017, Asma Bougnaoui, contre Micropole SA, C188/15.)
En outre, l’employeur ne peut pas licencier une salariée pour l’unique motif qu’elle refuserait de retirer son foulard devant la clientèle. L’employeur doit d’abord rechercher s’il est possible de lui proposer un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec les clients. Pour apprécier cette condition, le juge tiendra compte des contraintes inhérentes à l’entreprise. (CJUE, Asma Bougnaoui, aff. C-188/15; 14 mars 2017).
Que dois-je faire ?
- Exiger la communication du règlement intérieur ou de la note de service afin de vérifier l’existence d’une clause de neutralité.
- Exiger un écrit vous demandant de retirer le port d’un signe religieux ainsi que les motifs d’une telle demande.
- Communiquer à l’employeur les décisions de justice de la Cour de cassation et de la CJUE précitées.
- Si vous êtes salarié, vous pouvez demander à l’inspection du travail de se prononcer explicitement par décision motivée sur la conformité de cette clause de neutralité (C. trav., art. L.1322-1-1).
- En l’absence de clause de neutralité, saisir le Défenseur des droits pour signaler une discrimination.
- Saisir le service juridique d’Equitas.
RÉFÉRENCES APPLICABLES :
Article L.1321-2-1 du Code du travail ; l’article L.120-2 du Code du travail ; Art. L.1322-1-1 du Code du travail. ; Cour de cassation du 22 novembre 2017 (13-19.855) ; CJUE, 14 mars 2017, aff. 157/15 ; Asma Bougnaoui, contre Micropole SA, C188/15 ;