Une enseigne de prêt-à-porter introduit, dans son règlement intérieur, une clause de neutralité interdisant uniquement le port de signes religieux pour tous ses employés.
Marie, salariée au service comptabilité, depuis quatre ans, est directement affectée par cette nouvelle clause car elle porte un foulard pour des raisons religieuses.
Que dit la loi ?
Le droit au respect de la vie privée tel que garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme englobe non seulement l’intégrité physique et morale de la personne, mais aussi le droit à l’identité et à l’autodétermination personnelle. Ainsi, les choix faits quant à l’apparence que l’on souhaite avoir et le port de certains vêtements, dans l’espace public comme en privé, relèvent de l’expression de la personnalité de chacun et donc de la vie privée au sens de l’article 8 de la CEDH. Les signes religieux constituent d’ailleurs une partie intégrante de l’identité de ceux qui les portent.
Le port de signes religieux est, de plus, protégé par la liberté de culte qui est un droit fondamental, qui concerne aussi bien la conviction personnelle que l’apparence qui manifeste l’appartenance à une religion.
Les discriminations, directes ou indirectes, en raison de l’appartenance réelle ou supposée à une religion, sont prohibées par de nombreux textes tant nationaux, européens, qu’internationaux.
Ainsi, la liberté de culte et l’interdiction des discriminations religieuses sont garanties, dans certaines limites, par les articles 9 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
Conformément à l’article 9-2 de la CEDH, « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Dès lors, une structure privée ne peut donc, à priori, discriminer directement ou indirectement une salariée portant le foulard dans le cadre de leur relation de travail.
Selon la Cour européenne des droits de l’homme, « Pluralisme, tolérance et esprit d’ouverture » caractérisent une « société démocratique ». Certes, un équilibre doit être parfois trouvé entre des intérêts pouvant s’opposer, mais cela ne signifie pas que l’opinion majoritaire puisse impacter la pratique d’une personne faisant de la religion un axe majeur de sa vie, cette personne pouvant « être en mesure de communiquer ses convictions à autrui ».
Une balance des intérêts doit donc être faite entre la liberté religieuse des salariés et les nécessités de l’entreprise.
En l’espèce, l’entreprise de Marie a introduit le principe de neutralité au sein de son règlement intérieur pour tous ses salariés et uniquement concernant l’exercice de la liberté religieuse.
En Belgique, la neutralité peut s’appliquer, sous certaines conditions, aux employés qui sont tenus d’adopter une attitude neutre lorsqu’ils remplissent leurs fonctions. Cela signifie qu’ils doivent s’abstenir de manifester publiquement leurs convictions politiques, religieuses ou philosophiques dans le cadre de leur travail. Ainsi, cette restriction concernant l’expression de toutes les convictions.
Concernant les structures privées, la Cour de justice de l’union européenne en précise le cadre. Une entreprise privée pourrait prévoir des restrictions aux ports de signes religieux sous certaines conditions, notamment reprises par deux décisions du 14 mars 2017, encadrant l’insertion d’une clause de neutralité dans le règlement intérieur d’une entreprise privée.
- Cette clause de neutralité doit poursuivre poursuit un but légitime ;
- Elle doit être appliquée de manière cohérente et indistincte, quel que soit les convictions religieuses, politiques ou philosophiques des travailleurs ;
- Elle doit constituer un moyen nécessaire au but poursuivi ;
- Ainsi, toute restriction doit donc être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.
Que dois-je faire ?
- Exiger la communication du règlement interne de l’entreprise afin de vérifier l’existence d’une clause de neutralité.
- Vérifier si une telle clause s’appliquent sans distinctions de convictions à tous les employé(e)s.
- Exiger un écrit vous demandant de retirer le port d’un signe religieux ainsi que les motifs d’une telle demande.
- Communiquer à l’employeur la législation en vigueur ainsi que les décisions de justice pertinentes.
- Saisir la délégation syndicale, le Comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) ou tout autre représentant des travailleurs de votre entreprise en cas de litiges.
- Demander à un membre de la délégation syndicale de se prononcer explicitement par décision motivée sur la conformité de cette clause de neutralité.
- En l’absence de clause de neutralité ou d’une clause irrégulière, saisir UNIA pour signaler une discrimination.
- Saisir le service juridique du CCIE qui vous accompagnera à chacune des étapes.
RÉFÉRENCES APPLICABLES
Source :
- Article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
- Article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
- Article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
- Articles 10, 11 et 19 de la Constitution belge.
- Loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discriminations.
- CJUE 12 février 1974 : Giovanni Maria Sotgiu contre Deutsche Bundespost.
- CJUE 14 mars 2017 : Asma Bougnaoui et Association de défense des droits de l’homme (ADDH) contre Micropole SA.
- CJUE 14 mars 2017 : Achbita contre G4S Secure Solutions.
- Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
- Convention de l’OIT n° 111 concernant la discrimination (emploi et profession). ;
- Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.
- Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (Directive refonte).