Malika souhaite s’inscrire dans une salle de sport près de chez elle, elle porte le foulard. En se renseignant elle s’aperçoit que le règlement intérieur mentionne : « tout couvre-chef est strictement interdit (casquette, bonnet, capuche, etc) ». Comme ce ne sont pas que les couvre-chefs à caractère religieux qui sont ciblés, et que tous les clients sont concernés elle ne sait pas s’il s’agit d’une discrimination. En réalité Malika est face à une discrimination indirecte.
Qu’est-ce qu’une discrimination indirecte ?
Le cadre normatif général de la discrimination est fixé par l’article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (modifié par la loi n°2017-256 du 28 février 2017). La définition est déclinée dans le Code pénal, aux articles 225-1 et suivants et le Code du travail comporte plusieurs dispositions qui prohibent les discriminations directes ou indirectes fondées sur un certain nombre de motifs (art. L. 1132-1 et suivants notamment).
La Cour de cassation a, pour la première fois, en 2007 condamné une discrimination indirecte. Elle a ainsi considéré comme une discrimination indirecte en raison de l’état de santé un système de rémunération qui, apparemment neutre, pénalisait les salariés malades (Cass. soc. 9 janvier 2007 n° 05-43.962).
Il existe différentes formes de discriminations, pour la discrimination directe.
Constitue une discrimination indirecte : « une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner […] un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes (…) » (article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008).
La discrimination est donc indirecte lorsque des mesures apparemment neutres défavorisent, de façon importante, une catégorie de personnes.
Ex. : l’exclusion des employés à temps partiel d’un régime de pension d’entreprise peut constituer une discrimination indirecte envers les femmes si cette exclusion touche un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d’hommes et dès lors qu’elle n’est pas objectivement justifiée (Cour de justice de l’Union européenne,13 mai 1986, Bilka, 170/84).
Ex. : une exigence de taille minimale de 1,70 m dans la police est considérée comme indirectement discriminatoire en raison du sexe (CJUE 18 octobre 2017 aff. C-409/16).
Contrairement à la discrimination directe la définition de la discrimination indirecte, qui est issue du droit communautaire, ne s’intéresse pas à l’intentionnalité de l’auteur qui souhaiterait ou non défavoriser telle ou telle catégorie de personnes. La discrimination indirecte est caractérisée si la norme ou la pratique en question, bien que neutre, crée dans les faits une inégalité de traitement.
Toutefois, la mesure préjudiciable peut être justifiée si elle est fondée sur des critères objectifs, nécessaires et proportionnels aux missions confiées.
Ex. : les différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un but légitime, notamment par le souci de préserver la santé ou la sécurité des travailleurs, de favoriser leur insertion professionnelle (art. L1133-2 Code du travail).
Ex. : Art. R. 1142-1 du Code du travail :
« Les emplois et activités professionnelles pour l’exercice desquels l’appartenance à l’un ou l’autre sexe constitue la condition déterminante sont les suivants :
1° Artistes appelés à interpréter soit un rôle féminin, soit un rôle masculin ;
2° Mannequins chargés de présenter des vêtements et accessoires ;
3° Modèles masculins et féminins. »
Dans le cadre professionnel, cela signifie que le principe de non-discrimination ne fait pas obstacle aux différences de traitement lorsqu’elles « répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée » (art. L. 1133-1 Code du travail). L’employeur doit alors démontrer que la règle imposée est indispensable à la réalisation de la tâche, indispensable à la bonne marche de l’entreprise.
Le législateur n’a pas précisé les éléments de nature à constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante, ni établi une liste d’activités spécifiques qui pourraient justifier des différences de traitement.
La directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, précise qu’il convient d’apprécier le caractère essentiel et déterminant d’une exigence professionnelle « en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice ».
Exemple : demander à des candidats à un emploi de satisfaire à des critères de taille peut porter préjudice aux femmes. Dans la mesure où il n’est pas démontré qu’une taille spécifique est indispensable pour exécuter le travail, il s’agit d’une discrimination indirecte (Décision du Défenseur des droits n° 2018-016 du 9 février 2018).
Le caractère essentiel et déterminant d’une exigence professionnelle ne doit pas couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client (CJUE, 14 mars 2017, aff. C-188/15).
Exemple : « les demandes d’un client relatives au port d’une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient être considérées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l’article 4 § 1 de la directive no 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 » (Cass. Soc, 8 juill. 2020, n°18-23.743).
Sanctions
Il faut noter que contrairement à la discrimination directe, la discrimination indirecte ne tombe pas sous le coup du Code pénal :
« En effet, il résulte de l’article 225-2 du code pénal que seules sont punissables les discriminations fondées sur l’un des critères limitativement énumérés aux articles 225-1 à 225-1-2. Ces textes, qui doivent être interprétés strictement, ne répriment que la discrimination directe » (Cass., crim., 8 juin 2021, n° 20-80.056).
Sur le plan civil, les dommages et intérêts réparent l’entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée (art. L.1134-5du Code du travail).
Comment prouver une discrimination indirecte ?
La méthodologie probatoire est particulière en matière de discriminations indirectes comme le souligne la Cour de cassation dans sa jurisprudence (Cass. soc., 14 novembre 2019, n° 18-15.682).
La discrimination indirecte étant cachée par un critère neutre faisant écran, elle se découvre en examinant les effets de la règle ou de la pratique. Il ne convient donc pas de s’intéresser uniquement aux faits propres au litige, mais il faut commencer par s’interroger sur l’effet discriminant des normes sur un plan global.
Lorsqu’un salarié présente des éléments de fait laissant présumer l’existence d’une discrimination, il revient à la partie défenderesse, c’est-à-dire à l’employeur, de démontrer que ses décisions reposent sur des éléments objectifs étrangers à la discrimination alléguée (art. 4 de loi du 27 mai 2008 et art. L. 1134-1 du Code du travail).
Ainsi, dans un premier temps, la personne qui s’estime victime de discrimination dans le cadre professionnel doit constituer un faisceau d’indices convergents laissant supposer l’existence d’une discrimination afin de faire naître un doute raisonnable dans l’esprit du juge. L’intention de l’auteur n’est pas prise en compte et une condamnation pour discrimination pourrait intervenir seulement si l’effet discriminatoire est réalisé ou susceptible de l’être.
Dans un second temps, si les juges considèrent que la disposition ou la pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier, la charge de la preuve incombe à l’employeur qui doit donc justifier que le critère est objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but sont nécessaires et appropriés.
Le juge vérifie alors que :
- Le désavantage sur des personnes relevant d’un critère est objectivement et raisonnablement justifié par un objectif légitime réel et matériellement vérifiable ;
- Les mesures prises par l’employeur sont nécessaires et aptes à atteindre cet objectif ;
- Ces moyens sont proportionnés au but recherché.
Si l’employeur peut justifier ces trois points, la présomption de discrimination indirecte tombe. Même si des personnes subissent un traitement défavorable, celui-ci n’est pas constitutif d’une discrimination.
En revanche, si l’employeur ne peut pas apporter la pleine justification de sa politique, la discrimination indirecte est établie.
Que faire si vous pensez être victime d’une discrimination indirecte ?
- Rassemblez un maximum d’éléments. Les preuves peuvent être diverses : le témoignage, la présentation de documents ou encore le testing ou test de situation.
- Des démarches non contentieuses sont possibles : vous pouvez saisir le Défenseur des droits qui est habilité à intervenir en cas de discriminations.
- Selon la situation, vous pourrez saisir la juridiction compétente, civile, pénale ou administrative.
- Une action de groupe est possible en matière de discrimination (décret n° 2017-888 du 6 mai 2017) lorsque plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, ont subi une discrimination directe ou indirecte, fondée sur un même motif, de la part d’une même personne (privée ou publique). L’action peut être exercée par les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans sous conditions ou pour les discriminations commises au travail, par les syndicats représentatifs.
- Informer votre employeur de la discrimination par écrit.
- Dans le cadre de l’emploi, vous pouvez dénoncer le comportement ou l’acte discriminatoire à l’inspection du travail.
- Vous pouvez aussi alerter les représentants du personnel.
- Vous pouvez faire appel à Equitas pour être soutenu et accompagné juridiquement.
REFERENCES APPLICABLES
Loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations ; Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale ; Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ; Directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ; loi n° 2016-1547 de modernisation de la Justice du XXIe siècle du 18 novembre 2016 ; Décret n° 2017-888 du 6 mai 2017.
Articles 225-1 à 225-4 Code pénal (cas de discrimination et sanctions pénales) ; art. L1132-1 (discrimination dans le travail) ; articles L1133-1 et L1133-6 Code du travail (inégalités de traitement autorisées dans le secteur privé) ; Articles 122-45 et 122-46 Code du travail ; Décision du Défenseur des droits, 15 nov. 2021, n°2021-290 ; Décision du Défenseur des droits 21 déc. 2018, n°2018-290.