Sonia a 16 ans et fait sa rentrée dans une nouvelle athénée, qui est un établissement public francophone en Région Wallonne. Elle souhaite cette année porter le foulard. Mais elle se demande si cela ne pourrait pas être une source de problème à l’école. Elle se demande quelles sont ses devoirs et obligations en tant qu’élèves dans le secondaire.
Que dit la loi ?
La Belgique ne dispose pas d’une loi généralisant l’interdiction du port de signes distinctifs au sein des établissements scolaires pour les élèves et étudiants. De plus, le Conseil d’Etat rappelle dans sa décision du 21 décembre 2010 que l’Etat belge n’est pas à proprement parler un Etat laïque et que les notions de laïcité et de neutralité sont distinctes.
L’Etat belge doit garantir un enseignement neutre en matière de convictions religieuses, philosophiques ou politiques en vertu de l’article 24 de la Constitution qui dispose que « L’enseignement est libre (…) La communauté assure le libre choix des parents. La communauté organise un enseignement qui est neutre. La neutralité implique notamment le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves ». L’objectif que tant à poursuivre cet article de la Constitution est le respect de la pluralité d’opinions des élèves et des parents. La liberté des parents qu’offre l’article 24 a pour conséquence que les communautés ont l’obligation de mettre en place et d’organiser un enseignement public neutre.
Il existe donc en Belgique deux réseaux d’enseignements : l’enseignement organisé par les communautés, qui regroupe les établissements publics, et l’enseignement libre qui sont des institutions privées, certes subventionnées par les communautés, mais qui ne sont pas organisées par ces dernières et qui sont libre de suivre une conception religieuse, philosophique ou pédagogique déterminée.
Pour ce qui est de l’enseignement privé en Belgique, les établissements de ce réseau sont autonomes pour mettre en place ou non des unes restrictions de signes distinctifs, à condition de justifier de tels restrictions en vertu des lois anti-discriminations en vigueur.
L’enseignement public communautaire est donc une compétence des communautés, en vertu de des articles 24 et 127 de la Constitution. Les communautés légifèrent de manière autonome, notamment sur la question de la neutralité dans l’enseignement public communautaire. Partant, il existe deux décrets, régissant la matière :
- Enseignement de la Communauté française : c’est le décret du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté française qui régit la matière. Ce décret concerne à la fois l’enseignement public secondaire francophone et l’enseignement supérieur. Plus précisément, l’article 3 du décret prévoit que la liberté des élèves et étudiants de manifester sa religion ou ses convictions doit respecter le règlement intérieur de l’établissement.
- Enseignement de la Communauté flamande : En Flandre, c’est le décret spécial flamand relatif à l’enseignement communautaire du 14 juillet 1998 qui est en vigueur. Ce décret, quant à lui, ne concerne que l’enseignement primaire et secondaire flamand et prévoit que le Conseil de l’enseignement flamand (ci-après le « Conseil du GO ! Onderwijs) est compétent pour mettre en place une déclaration de neutralité dans l’enseignement communautaire.
Dans un arrêt du 15 mars 2011, la Cour Constitutionnelle s’est prononcée sur la décision faite en 2009 du Conseil GO ! Onderwijs généralise l’interdiction de signes distinctifs dans les écoles secondaires et n’a pas constaté de violation de l’article 24 de la Constitution. Elle dit en effet que le Conseil du GO ! Onderwijs est compétente pour mettre en place une telle interdiction généralisée.
En 2019, le Tribunal de première instance de Louvain établit qu’une telle interdiction est constitutif d’une discrimination indirecte sur base de la conviction religieuse et violerait l’article 19 de la Constitution et de l’article 9 de la CEDH. En effet, la Tribunal ne voyait pas en quoi, en l’espèce, cette interdiction serait nécessaire dans le cadre de la poursuite du but recherché par l’article 24 de la Constitution. Un jugement similaire a été rendu en 2020 par le Tribunal de première instance du brabant Wallon concernant le règlement d’ordre intérieur d’une école secondaire.
Cependant, en mai 2024, la CEDH a confirmé dans un arrêt Mikyas et autres c. Belgique que cette décision du Conseil GO ! Onderwijs n’est pas constitutif d’une violation de l’article 9 de la CEDH. En effet la Cour rappelle que, dans une société démocratique, il est parfois nécessaire de limiter la liberté religieuse. La Cour argumente que, pour respecter le pluralisme et la liberté d’autrui poursuivis par l’article 24, la manifestation par les élèves de leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires publics ne doit pas constituer en un acte ostentatoire pouvant créer une source de pression et d’exclusion envers les autres élèves. C’est à travers cette argument que la Cour établit le caractère nécessaire et légitime de la décision du Conseil du GO ! Onderwijs.
En résumé, les établissements primaires et secondaires ont la possibilité d’interdire le port de signes distinctifs afin de poursuivre l’objectif de l’article 24 de la Constitution, pour autant qu’une telle interdiction soit, dans les faits, nécessaire et non-constitutif d’une discrimination indirecte Cette interdiction doit être prévu par ailleurs explicitement dans le règlement de l’école. Aussi, une telle interdiction risque d’engendrer une discrimination sur base de la conviction religieuse si elle ne respecte pas les conditions prévues par la jurisprudence.
Que dois-je faire ?
- Consulter le règlement d’ordre intérieur de l’établissement scolaire en question.
- Communiquer à la direction la législation en vigueur ainsi que les décisions de justice pertinentes.
- Entamer une procédure en interne pour régler à l’amiable d’éventuelles conflits entre l’étudiant et l’établissement.
- Saisir UNIA pour signaler une discrimination.
- Saisir le service juridique d’Equitas qui vous accompagnera à chacune des étapes.
RÉFÉRENCES APPLICABLES
- Article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
- Articles 19, 24 et 127 de la Constitution belge.
- Loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discriminations.
- Décret du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté française.
- Décret spécial relatif à l’enseignement communautaire néerlandophone du 14 juillet 1998.
- Décret de la Communauté française du 12 décembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination.
- CEDH 16 mai 2024, Mikyas et autres c. Belgique.
- Cour Constitutionnelle, 15 mars 2011, n° 40/2011.
- Conseil d’état, section du contentieux administratif, 21 décembre 2010, n° 210.000.
- Tribunal de première instance de Louvain, 27 aout 2019.
- Tribunal de première instance de Brabant Wallon, 4 mai 2020.